Peut-être faites vous partie des gens qui pensent que Le Havre est l’une des villes les plus laides du monde, avec son port gigantesque, et ses immeubles en béton tous similaires. Dans ce cas, vous avez complètement tort. Le Havre est une ville avec une architecture totalement époustouflante, si on prend le temps de s’y arrêter. De Auguste Perret à Jean Nouvel en passant par Oscar Niemeyer, nombreux sont les architectes de renom qui y ont laissé leur empreinte. Jardin des Modes vous propose une grande balade très complète au Havre, mêlant architecture, art, et gastronomie.
Texte et photos Judith Girard-Marczak
Un peu d’histoire
Le Havre est une ville nouvelle. Point de ville ou village gaulois pouvant intégrer un album d’Astérix ! Le Havre-de-Grâce (nom initial) n’a été créé qu’en 1517 par la volonté du Roi François 1er pour en faire un port, la ville est née et s’est enrichie. A vocation mixte (militaire et commerciale) initialement et jusqu’à la Révolution, le port a connu son véritable essor ensuite avec le commerce colonial et international (café, coton, bois, traite…) et la construction de docks entrepôts (les premiers en France). Port transatlantique pendant plus d’un demi- siècle pour les passagers attirés par le nouveau monde, relié par chemin de fer (les 2 premières lignes de chemin de fer en France sont Paris- Le Havre et Paris- Dieppe) à Paris, Le Havre devient dès le milieu du XIXème, station balnéaire où se développent les activités nautiques.
Détruite à 80% lors des bombardements de septembre 1944 par les Alliés pour en chasser les allemands qui y avaient créé une poche de résistance, sa reconstruction, priorité nationale, est confiée à Auguste Perret, le maitre du béton, matériau auquel il va donner ses lettres de noblesse. Entre 1945 et 1964, l’atelier Perret constitué d’une centaine d’architectes, locaux et nationaux réalise ce projet, symbole de la renaissance du pays. Ces hommes vont ainsi créer un ensemble paysager d’une exceptionnelle cohérence où les édifices expriment les multiples déclinaisons d’un même langage architectural.
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“L’ossature est à l’édifice ce que le squelette est à l’animal” Auguste Perret
Auguste Perret qui travaille le béton (béton bouchardé, béton brut de décoffrage, béton lavé) est choisi par sa maitrise de ce matériau qui a l’avantage de permettre une reconstruction rapide du centre ville totalement dévasté. N’oublions pas que outre les 5000 morts causés par les bombardements, 80 000 havrais se retrouvent sans toit. Il choisit de reconstruire les bâtiments exactement là où ils étaient (Hotel de Ville, avenues, église Saint Joseph ….). Les gravats étaient tellement importants et volumineux que la reconstruction s’est faite dessus; la ville a donc pris 50cm de hauteur par rapport à avant-guerre. Le projet de départ était une ville piétonne dont les bâtiments devaient plafonner à 5,5 mètres mais le nombre de sans-abris était tel que ce projet a été abandonné, car les logements n’auraient pas été assez nombreux.
Le centre-ville s’organise selon le Triangle Monumental, une composition urbaine qui reprend les principaux axes historiques: rue de Paris (construite avec des galeries abritées comme la rue de Rivoli à Paris), avenue Foch (la plus luxueuse) et le boulevard François 1er.
Auguste Perret a reconstruit le centre-ville du Havre selon une trame constructive de 6,24m qui régit les îlots d’habitations, les bâtiments, les rue et les places. Cette trame se décline en multiples (épaisseur des bâtiments) et sous-multiples (éléments de remplissage) qui entraine une mesure commune, tel un chiffre d’or. Concrètement: 6,24m est la largeur maximale d’une poutre entre 2 piliers. Les piliers peuvent s’empiler pour constituer les étages d’un bâtiment, être ronds, carrés ou octogonaux. L’intérieur des immeubles d’habitation n’ont aucun mur porteur: tout est soutenu par les piliers. On appelle cette trame une structure poteau-poutre.

La Cathédrale Notre-Dame
Seul édifice miraculeusement resté debout dans le centre-ville, elle mêle styles gothique, Renaissance et baroque. Elle succède à des chapelles en bois dont la première était Notre-dame de Grâce. Sa construction débute en 1575 pour se terminer en 1638. Elle souffrira au cours des siècles des guerres de religion, de la Révolution puis en 1944 des ravages des bombardements alliés. Pour autant, il est alors décidé de la conserver et de la restaurer. L’orgue a été offert par Richelieu et l’édifice consacré cathédrale en 1974.
L’Appartement Témoin d’Auguste Perret
Un appartement au design des années 50 est reconstitué au premier étage d’un immeuble sans affectation individuelle ou immédiate (ISAI), conçu par l’atelier Perret à partir de 1946.
Cet appartement permet de découvrir les aménagements proposés par l’atelier pour reloger les habitants au lendemain de la guerre : double orientation, ensoleillement optimal, cuisine et salle de bains intégrées, vide-ordures, chauffage collectif à air pulsé. Le mobilier choisi fait référence aux aménagements des appartements types présentés pendant la reconstruction (entre 1945 et 1955) et destinés aux sinistrés havrais. On comprend mieux durant la visite la trame constructive d’Auguste Perret: les piliers sont visibles dans l’appartement. Aucun mur n’est porteur afin que l’appartement soit modulable. Les murs ne sont pas en BA13 comme aujourd’hui mais en agglomérat de briques, faciles à casser pour être déplacés.
Du style de René Gabriel à celui de Marcel Gascoin, en passant par André Beaudoin, l’origine des Trente Glorieuses est ici relatée à travers les objets du quotidien : réfrigérateur, gazinière, auto-cuiseur, aspirateur, lave-linge mais aussi tourne-disque, machine à écrire, vêtements, journaux et revues plongent le visiteur dans une époque ayant nourri le style de vie que nous connaissons aujourd’hui.
L’appartement témoin Perret, remis en l’état d’origine, est conforme aux plans et aménagements présentés par Auguste Perret à Paris en 1947 puis au Havre en 1949. Hormis le travail de reconstitution à l’identique, une véritable enquête fut menée, les intérieurs reconstruits n’ayant pas fait jusqu’alors l’objet d’étude spécifique.
L’Espace Oscar Niemeyer
Changement d’époque et d’architecte. Dans les années 70, on choisit Oscar Niemeyer (plutôt par affinités politiques) à qui on doit entre autre le siège du PCF à Paris, pour reconstruire le Théâtre.
L’extrémité ouest du bassin du Commerce s’achève sur Le Volcan, espace culturel havrais et scène nationale, œuvre majeure d’Oscar Niemeyer, finalisée en 1982. Son expression architecturale découle des doctrines de Le Corbusier. L’architecture est traitée en voile de béton peint en blanc, aux formes courbes et libres cherchant à atteindre une poétique architecturale. Des travaux de réhabilitation de l’ensemble de cet espace ont eu lieu pendant plusieurs années. Aujourd’hui, à l’emplacement de l’actuel Grand Volcan, la scène nationale Le Volcan poursuit son activité de diffusion et de production de spectacles vivants dans environ 4 000 m².

On remarque grâce à la vue du haut que l’ensemble a une forme de colombe, sur 150ha. Sur le côté du Grand Volcan, une main en résine a été moulée sur la main de Niemeyer.
Le marché aux poissons
Au début du quai de Southampton, rue du Général Faidherbe, du lundi au samedi de 9 à 19H30, se tient le marché aux poissons. Sauf avis de tempête, vous y rencontrerez les femmes, filles, mères, des pêcheurs locaux qui viennent vendre sur la quinzaine d’étals la pêche du jour. Depuis le 1er octobre c’est la saison des coquilles Saint-Jacques que vous pouvez acheter décoquillées, mais, en ce moment, également: crevettes bouquet, bars, carrelets à des prix défiant toute concurrence.
La Maison de l’Armateur
Cette étonnante maison est un des derniers témoins du Havre au XVIIIe siècle. Construite sur cinq niveaux autour d’un étonnant puits de lumière, qui la rend unique en son genre. Sa visite permet de découvrir le mode de vie et l’activité du négociant Martin-Pierre Fouache qui l’a acquise en 1800 pour en faire sa résidence familiale d’hiver et y installer ses bureaux. La façade est typique Louis XVI et l’intérieur est soigné: parquets de bois rares et exotiques, cabinet de curiosités, évier à eau courante. L’Armateur voyait ses bateaux partir et revenir de ses fenêtres. Il pratiquait la droiture, le commerce triangulaire et la traite, Le Havre étant le plus grand port de France à cette époque.
Les quartiers sud rénovés et les Bains des Docks
Changement d’ambiance avec le quartier des anciens docks, là où les bateaux de notre armateur Martin-Pierre Fouache voyait arriver ses cargaisons de café ou de coton, Jean Nouvel, a signé le « bains des docks » un complexe aquatique comprenant une dizaine de bassins inspiré des thermes romains, qui apporte un geste architectural remarqué et remarquable dans les quartiers sud, terrain d’une ambitieuse reconquête urbaine sur une zone portuaire plus en phase avec le gigantisme du trafic maritime.
A proximité le Carré des Docks, centre des congrès et parc d’expositions permet au Havre de s’inscrire pleinement comme une destination de tourisme d’affaires. Face à lui, les Docks Vauban (datant du milieu du XIXème) ont entamé une seconde vie devenant, après leur réaménagement par Reichen et Robert (spécialistes de la reconversion de sites industriels), un centre de commerces et de loisirs pour une « balade shopping » où l’on retrouve une soixantaine d’enseignes tendance, liées à la culture, à la mode, au sport et à l’équipement de la maison mais aussi un complexe cinématographique et des restaurants à la cuisine « saveurs du monde ».
Dans ce même secteur, véritable vaisseau urbain, l’Ecole Nationale Supérieure Maritime 5 (Pacôme Bommier et Laurent Pérusat de l’agence AIA Associés) se dresse telle une figure de proue le long du quai du Cameroun. De l’autre côté du bassin de l’Eure, la cité Numérique, l’Ecole de Management de Normandie, Sciences Po Asie (Champenois et associés) complètent le nouveau visage de ce secteur proche de la gare. Une cité étudiante entièrement construite avec des containers (25m2) permet de loger à prix très corrects les étudiants de ces diverses écoles.
L’Eglise Saint-Joseph
Tel un phare au cœur de la ville, l’église Saint-Joseph se singularise par une tour-lanterne octogonale, d’une hauteur de 110 mètres, faisant corps avec la base carrée de l’édifice, réunissant nef et chœur. Commencés en 1951, les travaux sont achevés en 1957 après la mort d’Auguste Perret par des architectes de son atelier. A l’intérieur de l’église, le béton est éclairé par 6500 verres colorés. Les couleurs varient en fonction de l’orientation. Dédiée à la mémoire des victimes des bombardements, édifice emblématique de la reconstruction en Europe, l’église Saint-Joseph s’impose comme l’un des chefs-d’œuvres architecturaux du XXème siècle.
Le MuMa
Situé au bord de la mer, à 600 mètres du port de plaisance, le MuMa – musée d’Art moderne André Malraux offre une architecture moderne entièrement dédiée à l’espace et à la lumière. Ce bâtiment de verre et d’acier abrite l’une des plus prestigieuses collections impressionnistes de France. Il a été imaginé par l’un des architectes de l’Atelier Perret et Jean Prouvé y a apporté sa touche en travaillant sur le 5e façade, le plafond. C’est un musée qui a été voulu modulable, avec des parois amovibles afin de pouvoir y installer toutes les sortes d’expression artistiques. André Malraux l’a inauguré en 1961 sous le nom de Maison de la Culture.
On y admire les oeuvres de Boudin, Monet, Renoir, Degas, Sisley, Pissarro, Dufy… dans leur lumière.
Le musée présente une collection dont le déroulement du XVe au XXe siècle embrasse cinq siècles. La peinture moderne y est majoritaire et en fait un des tout premiers musées en France pour la période 1850-1920 : Courbet, Delacroix puis les impressionnistes dont Monet, Sisley, Pissarro, Renoir, Degas, la plus grande collection d’œuvres d’Eugène Boudin, une vingtaine de toiles de Raoul Dufy, sans oublier les Nabis comme Vallotton ou Sérusier ainsi que les Fauves tels que Derain, Marquet, Matisse, Van Dongen, Friesz…
Parallèlement aux collections permanentes, le musée accueille des expositions temporaires comme l’actuelle “Dufy au Havre” qui se termine le 3 novembre 2019.
Sainte-Adresse
Sainte-Adresse est un petit village le long du Vallon surnommé le Nice Havrais. Station balnéaire depuis 1847, date à laquelle la ligne ferroviaire Paris-Le Havre permet aux parisiens de venir respirer l’air de la mer, Sainte-Adresse doit aussi sa renommée à l’arrivée des peintres (Turner, Claude Monet …). De très belles villas se construisent dans le Vallon dont celle de Sarah Bernhardt. En 1905, un riche industriel, Claude Dufayel achète des terrains pour y faire construire de somptueuses villas, creuse des rues, retape les 5 escaliers de pêcheurs qui conduisent aux plages, apporte le gaz, l’électricité et le tout-à-l’égout.
Le Salon des Navigateurs
Si vous avez un grand moment devant vous, ne ratez pas l’intarissable Monsieur Lecompte, ancien coiffeur pour l’équipage du paquebot France et figure havraise incontournable. Son salon de coiffure où il officie encore à 85 ans et forme des apprentis est un mix entre Musée de la Coiffure (avec toutes sortes d’instruments et appareils ayant révolutionné cette discipline) et Musée de la Marine de Croisière (avec plein d’objets du France et d’autres paquebots mythiques). Ce passionné a même réussi à convaincre son syndic de faire de l’entrée de l’immeuble et de la cage d’escalier les dépendances de son étonnant musée.
1 Rue du Petit Croissant, 76600 Le Havre 02 35 42 12 71
Se restaurer

The Architect
The Architect est un restaurant à la croisée des savoir-faire : entre tradition française et modernité australienne. Convivialité, qualité et respect de la richesse des produits du terroir normand, sont les maîtres mots de ce tout nouvel endroit tenu par un jovial australien qui parle un français parfait. Deux étages et avec une terrasse à la vue imprenable sur le Bassin de la Manche, le Quai de Southampton il offre un cadre parfait pour un brunch, un déjeuner ou un dîner entre amis ou en famille. Côté boissons vous retrouverez également une large gamme de produits australiens : VB, Little Creatures, Coopers, Ginger Beer Bundaberg & more ! Mais aussi des cocktails signatures comme le Bondi ou le Anchor Bay. Jardin des Modes vous recommande le fish’n chips à la panure à la bière !
55 Quai de Southampton, 76600 Le Havre 02 32 73 68 03
Le Margote
Quartier Saint-François, une table d’aujourd’hui animée par Gauthier Teissère (et son épouse Marguerite en salle), un chef plein d’idées, qui cuisine avec son coeur et ne manque pas d’une technique qui s’affirme. Sa cuisine est de saison, suivant les tendances, toujours de fraîcheur, et uniquement issue de produits sains, comme en témoigne un bon menu découverte à 30 euros : foie gras, filet de rouget de la pêche du jour à l’émulsion d’oseille, salicorne et chips de vitelotte …. La salle est bien décorée, contemporaine, l’accueil à la fois discret et engageant. Et belle récompense pour ce couple vraiment sympathique, l’entrée au Michelin en février 2020.
50 Quai Michel Féré, 76600 Le Havre 02 35 43 68 10
Le Grignot
Situé au coeur du centre ville du Havre, classé au patrimoine de l’UNESCO depuis 2005 (Face au Volcan), Le Grignot est un restaurant classé “Maître Restaurateur“. C’est l’une des brasseries les plus réputés du Havre, qui vous propose ses pêches du jour, ses produits bio et ses recettes traditionnelles et gourmandes. Les plats sont fait «Maison» mais aussi fait de saison.
Grand Prix National 2014 de la Confrérie de Gastronomie Normande «La Tripière d’Or»
53 Rue Racine, 76600 Le Havre 02 35 43 62 07
Dormir
Le choix d’hôtels au Havre est plutôt important. Vous pouvez dormir au Best Western Art’Hotel en face du Volcan ou à l’Oscar Hotel entièrement meublé fifties mais ce qui nous a fait craquer c’est cette superbe maison rouge et marron située sur les hauteurs de Sainte-Adresse. Elle peut recevoir 7 voyageurs mais pour un week-end romantique en amoureux, c’est parfait.
Maison historique exceptionnelle dominant la baie
Pour en savoir plus
www.seine-maritime-tourisme.com
Toutes les photos de ce reportage, sauf mention contraire, ont été réalisées avec un Iphone XR