« Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années ». Cette réplique de Rodrigue dans le Cid de Pierre Corneille colle comme un gant à Paul Richardot, Anthony Toulemonde et Victorien Sirot, trentenaires, qui ont réveillé en 2017 la maison de parfums Violet, tombée dans les oubliettes de l’histoire de la parfumerie française. Ils ont redonné tout son lustre à cette marque fondée en 1827, en remettant au goût du jour, avec la collection Héritage. Des fragrances portées par l’impératrice Eugénie de Montijo et les cours européennes tout au long du XIX siècle. Mais aussi en la décoiffant quelque peu avec le lancement d’une gamme Cycle qui joue entre abstraction et réalité, bien ancrée dans le XXIe siècle.
interview et portrait par Anne Bourgeois
photos et illustrations Maison Violet
Une Maison impériale
Fournisseur officiel de l’impératrice Eugénie et de la reine Isabelle II d’Espagne, première marque de parfums français à s’exporter aux États-Unis, Violet fut un acteur majeur de la parfumerie au XIXe siècle avec sa boutique du boulevard des Capucines et son usine de 150 employés à Saint-Denis. Les flacons Héritage portent encore l’abeille, aujourd’hui stylisée, symbole de l’impératrice. « Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse », dit-on dans la culture populaire. Et bien la Maison Violet démontre le contraire. Le verre sculptural élaboré par un artisan d’art français s’accorde aux jus que l’on découvre, lourds, lents, s’étirant sur la peau dans un souffle.
Un trio d’étudiants
Il est rare que des étudiants décident de créer leur propre entreprise pendant leur scolarité. C’est pourtant ce que fera le trio, inséparable sur les bancs de leur école, en rachetant Violet qui dormait dans les tiroirs d’un fonds d’investissement. Lorsqu’ils font l’acquisition de la Maison, ils détiennent le nom, mais aucune des formules de composition des parfums. Il leur a fallu les décortiquer au nez et les reconstituer pour concevoir la collection Héritage. Sept parfums, sept péchés capitaux, unisexes, composés des plus belles matières, orchestrées par Nathalie Lorson, maitre parfumeur chez Firmenich, acteur majeur de l’industrie des fragrances. Ce nez d’exception a été séduite par ces trois passionnés rencontrés à l’École Supérieure du parfum. Elle se joint à l’équipée, devenue une vraie success–story.
Des entrepreneurs passionnés
Nos trois entrepreneurs ont, bien entendu, chevillé au corps l’amour des parfums. Paul, y est venu par la littérature, avec la découverte du roman de Patrick Süskind « Le parfum », dont la sensualité et la brutalité ravageuse a mis ses sens en émoi. Féru d’Histoire et le nez aux aguets, il apprécie aujourd’hui encore de remonter le temps de la Maison, se plonger dans l’âcre odeur des archives, toujours l’affût d’un ancien flacon, d’une affiche de réclame des siècles passés. Victorien quant à lui a plutôt une appétence pour le goût, les saveurs qui explosent en bouche. Son stage d’observation en classe de 3e se déroule auprès de Thierry Wasser, le nez de Guerlain qui n’est pas avare en transmission. Il l’emmène à l’usine découvrir les matières premières, dans son laboratoire pour faire des pesées, lui montre son savoir-faire. C’est décidé, à partir de cette expérience, il rejoindra l’univers de la parfumerie et n’en démordra pas. Anthony, sera guidé vers le parfum, grâce à une conseillère d’orientation et sa mère qui décèlent en lui une sensibilité contenue qui va s’éveiller et déclencher une soif continue de sentir, qui l’amène à humer dans les rues les arômes des cafés, des trottoirs et les senteurs d’inconnus.
Un positionnement audacieux
Ne pas créer de nouvelle marque est une gageure. La profusion de marques dites de niche depuis une vingtaine d’années qui lancent des compositions soi-disant novatrices, souvent difficilement appréciables et portables, les pousse à remettre en avant la belle parfumerie française d’antan se positionnant entre le marché sélectif qui ne bouge pas et celui de niche trop foisonnant. Nos trois concepteurs ne veulent pas saturer le marché, et préfèrent une sortie par an, afin que la qualité des jus ne soit pas sacrifiée sur l’autel du marketing. Pas de boutique, mais une diffusion dans plus de 50 points de vente sur les cinq continents, un premier pied sur le sol américain, pas de publicité, mais le bouche-à-oreille, et la conquête d’une clientèle dont l’âge n’est pas une cible.
Les belles matières
Leur credo, ce sont les belles matières premières revisitées avec des techniques d’extraction totalement différentes de celles du Second Empire. Ils transforment les mots en odeur, et enfantent des jus qui, s’ils revendiquent un héritage le bousculent. À eux l’inspiration, à Nathalie Lorson la composition. À son orgue, après avoir senti les jus d’origine, elle propose, soumet et reformule. Elle manie avec subtilité la parfumerie classique tout en instillant des twists de modernité. Densité, douceur, profondeur du toucher, sensualité, texture sont les maitres–mots. Partir sur les chemins olfactifs du cèdre de l’Atlas, de la fève tonka de la forêt amazonienne, du ciste sauvage d’Espagne sont des périples dont les réminiscences se muent en parfums hautement désirables.
Car c’est bien le désir qui est le fil d’Ariane de la collection Héritage.
La collection Heritage
Un Air d’apogée, leur best-seller à ce jour, symbolise une élégance toute racée avec sa note de daim cuirée. L’addiction est bien là, dans ces notes où l’absolu de mimosa, le tabac cireux, chaud, aromatique, l’absolu d’iris et la fève tonka aux versants poivrés, corsés et incisifs s’épousent pour recréer l’atmosphère des sièges de cuir d’une Jaguar.
Sketch un ambré des temps anciens, odeur très emblématique de la parfumerie est rehaussé par un absolu de patchouli qui nous emmène en promenade dans les sous-bois, quand la terre enfouie exhale une bouffée de spiritueux aux aromates opulents, provoquant une soif qu’on ne cesse d’étancher.
Pourpre d’automne, une violette moderne aux accents vintage est une morsure avec ses facettes vertes et citronnées. En son cœur, une rose damascena, une fleur qui n’éclôt qu’une fois par an, au début de l’été en Anatolie. Poudrée, elle fait alliance avec le musc, la mousse et le benjoin pour mieux s’alanguir. Un parfum loin d’être monolithique, et qui nous fait vagabonder d’une fin d’après-midi encore brûlante à une nuit suave où un opéra nous ouvre ses portes drapées de velours grenat, imprégné de tous les chants du monde.
Le septième parfum de la collection Héritage, Abîme est une plongée dans les contrées parcourues par Joseph Conrad, au cœur des ténèbres, le bois de cèdre apportant une fébrilité accentuée par les brumes de l’encens, apaisée par les volutes chaudes et lactées du Palo Santo et d’un santal crémeux.
Les autres collections
À ces sept cercles, est venu s’ajouter la gamme Cycle, dont le numéro 001 jus est inspiré par la structure olfactive de l’angélique; cette fois, c’est le nez Patrice Revillard qui officie à la création de cette édition limitée à 1000 exemplaires, mais dont les flacons sont rechargeables. Épuré et lumineux, Cycle 001 a une minéralité donnée par l’encens, le poivre et l’iris, les muscs blancs et l’ambrox, une molécule de synthèse qui adoucit peu à peu cet éclat pour dériver sur des notes cotonneuses réconfortantes.
Paul, Victorien et Anthony travaillent en ce moment sur Cycle 002 qui sortira prochainement. Ils l’ont fait découvrir en toute confidentialité fin mars au salon Esxence à Milan, la manifestation internationale de la parfumerie de niche, où ils se sont rendus en train pour réduire leur empreinte carbone.
Ils sont aussi le reflet de cette génération de millenials, soucieuse de préserver de la planète. Ils ont donc changé leur packaging, jetant la cellophane aux orties. Depuis 2022, tous les composants de leurs emballages sont fabriqués en France avec une variété de produits écoconçue et biodégradable. Leurs nouveaux coffrets sont réalisés à partir de papier certifié FSC, constitué à 40 % de fibres recyclées et sans plastique. Ils ont identiquement le goût du collectif — “Lorsqu’on est le seul à préférer une piste, on se dit qu’il faut également accepter le fait que l’on crée déjà pour nous trois et puis pour un public.” Positif, connecté et toujours en mouvement, le trio plébiscite l’autonomie et la prise de responsabilité. Ils aiment s’affranchir de toutes les limites tout en gardant une véritable dévotion pour la vieille dame bicentenaire, que fut “À la Reine des abeilles — Maison Violet”, une grand-mère qui veille sur eux avec une grande tendresse.