Cuiré, souvent boisé, épicé, parfois fleuri, mais surtout animal, le Oud, très prisé en Orient, séduit les parfumeurs occidentaux qui le travaillent pour nous plaire… De l’ingrédient à la senteur, comment les créateurs l’interprètent ?
Par Géraldine Bourcier
Photos Pierre Constantin Guéros (sauf mention contraire)
Du stress à la magie
C’est un stress qui génère le phénomène : l’arbre soumis à une agression (des insectes, un champignon, même un clou planté) est infecté par des bactéries. Dans certaines circonstances (et c’est là où l’on parle de magie), il y a transformation par une action enzymatique de l’arbre qui sécrète au cœur de son tronc, pour se défendre, une résine sombre et odorante : le Oud.
Bois d’agar, bois d’aloès, bois d’aigles, Calambac, jusqu’à bois des Dieux, le bois de Oud (qui compte une myriade de dénominations selon la région), provient de quelques variétés d’arbres tropicaux (essentiellement du genre Aquilaria) qui poussent principalement en Asie du Sud-Est, notamment en Thaïlande, au Laos mais aussi en Inde, en Indonésie.
Cher car rare, l’ingrédient se produit en faible quantité
Au final, dans la nature, seulement un arbre pour 100, produira la précieuse résine et fournira une quantité très faible d’essence : l’huile essentielle de oud. Les plantations d’Aquilaria à destination de la fabrication du Oud sont rares car le traitement est peu productif, vraiment incontrôlable et très long… Un arbre sera mature à partir de 30 ans, l’inoculation des champignons peut prendre 5 ans et la réussite du traitement demeure aléatoire…
Quand les producteurs sont capables d’identifier la transformation, ils coupent l’arbre en très petit copeaux, sauf la partie noire, la plus noble, qui est conservée d’un seul tenant. Ce bloc noir est parfois sculpté et consumé en encens dans les traditions orientales. Tous les copeaux qui ont été dégagés servent à la distillation. Avec les parties du reste de l’arbre légèrement infectées, on obtient la boya qui présente une tonalité comparable au Oud, que l’on nomme le white oud.
Très fortement utilisé au Moyen Orient, ce bois est aussi présent dans la tradition japonaise et chinoise. En plus des vertus thérapeutiques qu’on lui reconnait, le bois de oud à une valeur spirituelle car c’est une matière première précieuse et miraculeuse : brûler ce bois à une symbolique très forte.
Oud : un effluve d’Orient qui plait tant en occident, que des french orientaux ont vu le jour qui plaisent tant en Orient… Finalement qui convoite qui ? Et surtout comment les créateurs interprètent cette essence exceptionnelle ?
Pierre Constantin Guéros Senior Parfumeur chez Symrise nous éclaire.
En parfumerie le oud est reconnu comme exceptionnel
Exceptionnel de par son prix, sa puissance, mais aussi de par sa complexité.
« Evidement les parfumeurs ont bien cherchés à reproduire son odeur en créant un accord oud, avec des molécules synthétiques ou un mélange d’autres matières premières ressemblantes. Mais la difficulté est qu’à la base le Oud détient un nombre de variétés de molécules impressionnantes. L’odeur du oud est extrêmement complexe et sa reconstitution ne peut être qu’imparfaite. Sur un panel de testeurs, plus de 100 adjectifs différents viennent décrire cette odeur. Pour la reconstituer, il faudrait être capable de couvrir un minimum de ces 100 facettes… »
Du côté des matières premières ressemblantes il y a le Cypriol, qui laisse une impression de Oud. On retrouve des accords oud dans les gammes de parfums moins chers qui n’utilisent pas de vrai oud. D’ailleurs le vrai bois de Oud pose deux problèmes principaux aux marques européennes : son coût et le fait que c’est une espèce botanique protégée, ce qui limite son commerce d’exportation.
Outre sa rareté, ce qui va justifier le prix de son essence c’est sa maturité, mais aussi sa couleur, sa texture et l’origine de l’arbre. Il existe des huiles essentielles de garde.
Le Oud fascine autant qu’il repousse
« Il y a encore 15 années, le oud était inconnu en Europe. Puis, importé en très faible quantité, il s’est montré de plus en plus présent dans les parfumeries européennes. Ceci s’explique par une réalité de coût mais aussi de goût. Effectivement, si l’on aime l’idée d’un parfum oriental, on est plus vite dérangé par cet aspect cuiré, animal qui ne passe pas culturellement. Le client occidental préfère un accord oud basé sur du patchouli, du cypriol, de la mousse de chêne… »
Et si les orientaux recherchaient aujourd’hui nos Ouds arrangés…. ?
« Au Moyen-Orient les jeunes sont élevés dans un monde ou l’influence occidentale est très forte. L’accès à la modernité a permis l’évolution fulgurante de ce parfum. C’est ainsi qu’en deux générations du traditionnel oriental presque caricatural parfum on a vu naitre un métissage qui, en même temps utilise les codes traditionnels orientaux et des formes olfactives plus légères inspirées de l’occident. »
« De nouveaux parfums apparaissent : les french orientaux, qui utilisent le Oud avec des notes plus fraiches, des hespéridés, des notes vertes ou aromatiques. Les purs orientaux sont utilisés dans les cérémonies, les mariages, dans un cadre plus formel et la norme, à Dubaï, devient ces french orientaux, des parfums hybrides entre la parfumerie purement occidentale classique et la parfumerie orientale. En ce sens, Tom Ford et son iconique Oud Wood ou encore Kilian Amber Oud, ont marqués la voie de cette adaptation à l’Europe. C’est donc grâce aux interprétations des créateurs qui ont su moderniser le oud par ce foisonnement de culture, qu’il a sa part belle dans nos quotidiens mais aussi que l’on porte encore et toujours le oud (réinterprété) à Dubaï ! »


Un rapport de haine et d’amour
« Le Oud est une matière première de fond, très appréciée pour sa ténacité et son volume extrêmement imposant. Il est utilisé par essence en petite quantité et développe des facettes particulièrement variées : en tête, une note animale qui évoque le cuir, la peau de bête, la laine, le sébum presque, voir la babouche… et en même temps, il offre une odeur boisée, très chaude, enveloppante qui rappelle l’encens, le baume, la mousse de chêne. Cette complexité lui confère un sillage merveilleux, extraordinaire, ultra sophistiqué. »
Avec le Oud, le parfumeur entretient un rapport d’amour et de haine. A lui de trouver les meilleures qualités de cette matière première pour en faire ressortir des notes acceptables aux nez des non-initiés. Pour le travailler, il demande une vraie connaissance approfondie; avant de le maitriser, le parfumeur fait beaucoup d’erreurs…
Un mariage heureux entre la rose et le Oud
Le mariage le plus classique est très certainement celui entre le Oud et la rose. La rose apportant de la féminité, de la noblesse et le Oud de la puissance, du caractère. Cet équilibre le rend mixte. On pense par exemple à ce magnifique accord rose et oud chez Armani, Armani Privé Oud Royal.
Parfum Oud
Une autre tendance est de mettre en valeur un ingrédient au centre du parfum en l’utilisant en association avec d’autres notes semblables. Le Oud, de la famille des boisés orientaux peut être valorisé avec d’autres boisés, sur des accords de patchouli, de cèdre, de cypriol… ; le cypriol qui est un extrait de papyrus, qui n’a donc rien à voir avec le bois de Oud mais qui peut l’évoquer.
Aujourd’hui le Oud semble vouloir s’extraire de son rôle évocateur de l’Orient, il peut être utilisé pour évoquer autre chose : pour sa richesse aromatique boisée, pour ses notes de cuir, mais aussi de tabac, de baume, de gousses de vanille et de café. Le Oud se modernise ! Un bel exemple de métissage et de modernité, reconnu au Moyen-Orient pour ses notes oud mais totalement occidental, est The Other Side of Oud de Akintsons.
« Le consommateur est devenu assez familier avec le Oud. Il ne s’agit pas de l’utiliser seulement pour sa matière première très exclusive et très chère mais de tenter de l’exploiter de façon plus originale et en profondeur. Il faut aller au-delà de sa connotation orientale de volupté et de doré. Il est important de dépasser cet aspect pour profiter de ses valeurs intrinsèques, celles qui apportent tant de volume. Et si, en parfumerie, on s’était approprié le Oud en occident pour le couper de cette évocation orientale ? »
Comme l’odeur des gens qu’on aime
Le premier contact avec l’odeur du Oud peut être dérangeante; cette odeur forte, animale, de biquette, de pourriture…, repoussante. Puis, petit à petit, on se l’approprie, jusqu’à ce qu’elle nous devienne familière, voire agréable. Un peu comme l’odeur corporelle de l’autre, qui d’un premier abord peut nous sembler dérangeante, pour finalement évoluer avec le sentiment d’amour, parce que l’affect peut nous faire aimer ce qui nous répugne… Là encore, on peut parler de l’incroyable magie du Oud.
Car oui le Oud est magique, de par sa production aléatoire, son utilisation spirituelle, et son impact olfactif exceptionnel. Magique et fort, car là est sa force de se faire remarquer par de nombreuses cultures qui lui attribuent le titre de matière première noble des plus valorisées.
Pierre-Constantin Guéros exerce le métier de parfumeur depuis 2003. Dès lors, il a constamment démontré des qualités créatives et techniques exceptionnelles. Il a parcouru le monde pour vivre son art avec ouverture, révélant une insatiable soif d’apprendre qu’il a su mettre au service de ses clients. Son parcours international lui a permis de grandir d’un point de vue parfumistique et d’affirmer son style.
Symrise, qui compte parmi les leaders mondiaux de la parfumerie fine et dont la réussite repose sur un fort niveau d’innovation et de créativité, a nommé Pierre-Constantin Guéros Senior Parfumeur.
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